Liliane a trouvé le courage de faire l’Alyah à 89 ans et des poussières. Accompagnée par sa fille Katia et par le Keren LaYedidout, cette intrépide nonagénaire, rescapée de la Shoah, pilier de la communauté juive de Strasbourg, se remémore les étapes de cette « montée en Israël » par le menu, de la prise de décision au déménagement. Un témoignage inspirant, garanti sans langue de bois.
Pourquoi faire l’Alyah à votre âge, à 89 ans ?
Lorsque nous nous sommes mariés, mon mari et moi, nous voulions faire notre Alyah. Mon mari était enfant unique et mon beau-père qui avait été gazé pendant la guerre est tombé gravement malade. Vous croyez que l’on pouvait laisser ses parents tout seuls ? Donc on n’a pas fait notre Alyah. Après on a eu les enfants, on s’est installés et puis bon…
On avait fait un voyage d’étude en Israël avec une vingtaine de médecins dans les années 1967, 1968, juste après la guerre des six jours. On voulait vraiment faire notre Alyah à cette époque. Mon mari était médecin en Alsace. Un excellent médecin ! Et quand il a vu à l’époque comment on soignait les gens en Israël… On fait la même chose en France maintenant. Il a dit « ça, je ne peux pas… » Et donc on a laissé tomber notre projet d’alyah. Puis après, nos enfants se sont mariés, ils ont construit leur vie… et voilà.
Plus tard, dans les années 1990, ma fille Katia a fait son Alyah. Depuis, nous avions pris l’habitude avec mon mari de venir passer les fêtes juives en Israël chaque fois que c’était possible.
Le 7 Octobre 2023, j’étais donc chez ma fille et mon gendre – qui se comporte comme un fils, je tiens à le souligner – en Israël pour les fêtes de Souccot, quand les terribles évènements ont commencé. Ca m’a ramené 85 ans en arrière, à la deuxième guerre mondiale, quand nous étions sous les bombes en France.
Alors, ça fait Tilt. Tout de suite, je me suis dit « bon très bien, ma place est ici ! ». C’est comme ça. A Strasbourg, on m’a traité un peu de… « pas tout à fait dans l’ordre », parce qu’à mon âge, on ne se déplace pas. Cela dit, il est vrai que s’il n’y avait pas mes enfants, je n’aurais pas pu faire l’Alyah toute seule, à 89 ans. Les démarches pour s’installer en Israël, c’est vraiment compliqué. Combien de fois Katia a dû aller, revenir, téléphoner ? Je ne parle pas l’hébreu. Je parle l’anglais, l’allemand, le français, mais pas l’hébreu. Donc c’était plus compliqué pour moi d’organiser l’Alyah seule.
Depuis une trentaine d’années, vous venez régulièrement en Israël ?
Absolument. A Rehovot, chez ma fille. Même le quartier, je le connaissais bien. Katia habite à 5 minutes d’ici, et je dois dire que je suis très très contente d’avoir franchi le pas. On a trouvé cet appartement qui était dans un drôle d’état et Katia et son mari ont vraiment mis le paquet pour le rénover.
J’ai complètement déménagé en Israël, je ne reviendrai pas en arrière. On m’a dit « mais garde-toi un pied à terre en France… » Non, je n’y retourne pas.
C’est l’envie de partir de France ou l’envie d’être avec le peuple juif en Israël qui a été la plus forte?
L’envie d’être avec le peuple juif, donc d’être avec nos enfants lorsque ça va mal. Au moment où j’ai décidé de faire l’Alyah, en France ça n’allait pas bien mais pas comme maintenant. Il y a aussi une raison pour laquelle je suis venue. Ma fille a été renversée par un autobus il y a cinq ans et est dans un état épouvantable. Elle dort une ou deux heures par nuit, elle souffre l’enfer, elle ne dit jamais rien, mais elle se décolore… C’est cet ensemble de raisons qui m’ont menées à l’Alyah en Israël.
Et vous avez des petits-enfants, en France ou en Israël ?
Oui, en France, de mon autre fils. L’un a fait des études d’ingénieur. Il est d’ailleurs venu me voir à Rehovot il y a 15 jours. J’ai essayé de lui expliquer les bienfaits de l’Alyah… Et puis, j’ai une petite-fille qui termine une spécialisation de médecine interne à Nice. C’est un excellent médecin ! Elle serait vraiment un élément épatant pour le système de santé en Israël.
J’espérais – et j’espère toujours – que mon alyah serait un moteur pour « mes petits français », mon fils et mes petits enfants de France.
Etre un moteur, c’était important. J’ai une amie de Strasbourg d’ailleurs, dont les petits enfants vivent en Israël, qui m’avait confié, trois mois avant mon départ « oh non, je ne suis pas bonne pour partir en Israël ». Puis j’ai fait mon alyah. Et récemment, une autre amie m’a écrit « tu sais, elle a décidé elle aussi de partir et de rejoindre ses petits enfants en Israël ».
Vous savez, depuis le 7 Octobre, je n’ai pas arrêté d’envoyer des messages d’information à mes amis, à mes relations de France, aux membres de ma loge du Bnei Brit afin qu’ils comprennent un petit peu mieux ce qui se passe en Israël.
Y compris à des amis non juifs ! Je pense par exemple à l’ancienne présidente de l’amitié judéo-chrétienne de France. Mon mari et moi, entretenions avec elle des relations extraordinaires. On s’occupait vraiment les uns des autres. Et depuis le 7, je peux vous dire que je lui ai envoyé, envoyé des articles… Et le résultat s’est fait sentir ; elle a fait une magnifique intervention publique il y a 8 jours, basée sur l’amitié entre juifs et chrétiens.
Des anciens malades de mon époux m’envoient régulièrement des messages. Et en retour, je leur envoie de l’information sur Israël et les juifs de France.
Comment a réagi votre entourage quand vous avez pris la décision de faire l’Alyah à 89 ans ?
Ils ont dit que j’étais cinglée ! Très simplement. Mon fils, qui est médecin aussi, m’a dit « Mais maman, je ne pourrais plus t’aider pour ta santé ! ». Le problème avec le frère de Katia, c’est que depuis sa naissance, il ne nous a pratiquement jamais quittés. Il a fait ses études à Strasbourg, puis il s’est associé avec son papa. Et nous avons travaillé 7 ou 8 ans ensemble. Puis il a repris le cabinet. Il est très proche de moi. Vous savez comment sont les garçons…
Et malgré cet attachement, l’envie de monter en Israël était plus forte ?
Ah oui, c’est un vœu que j’avais de tout temps. Et mon mari encore plus que moi…
Une fois la décision prise, quelles démarches d’Alyah avez vous entamées ?
Demandez à Katia. C’est elle qui a effectué toutes les démarches pour mon alyah. Elle est venue à Strasbourg ; elle était déjà venue pour les derniers mois de mon mari ! Elle n’a pas bougé de chez nous alors qu’elle a un mari, elle a un travail en Israël, elle était déjà fortement handicapée. Et donc elle a fait pratiquement toutes les démarches d’Alyah. Bien sûr, il fallait aussi que participe mais elle a fait l’essentiel.
Dans quel état d’esprit étiez vous au moment du déménagement de France vers Israël ? De faire les cartons, de quitter l’appartement et cette vie vous avez menée pendant 40 ans ?
Je vivais dans un appartement à peu près de cette taille, mais qui était au bord de l’eau, au bord de l’île, donc c’était agréable. Avec un petit balcon. Mais mon mari n’était plus là, donc c’était fini.
C’est difficile pour la génération actuelle de comprendre ça. Mais jusqu’au bout, on ne s’est pas quitté. Après sa carrière de médecin, mon mari a été ONG, pour le Bnei Brit Europe, au Parlement Européen et il y a fait un sacré boulot ! Avec le rabbin Fiszon de Metz, qui était aussi vétérinaire, ils se sont battus pour que l’on n’annule ni la chrita ni la Brit Mila, la circoncision.
Comment êtes-vous entrée en contact avec le Keren Layedidout ?
Katia : Au moment de décider des dates éventuelles pour l’Alyah de maman, j’ai expliqué à la personne qui s’occupait du déménagement, que je ne savais pas exactement comment faire parce qu’il fallait que l’on déménage de chez elle à Strasbourg, et puis que l’on vienne ici à Rehovot ensemble. Et comme il y avait un blocage au niveau des dates, au ministère de l’Alyah, on m’a dit : adressez-vous au Keren Layedidout ; ils pourront vous aider.
J’avais entendu parler de cette association mais je pensais qu’elle était réservée à l’Alyah des familles, des personnes plus jeunes ; pas à l’Alyah des retraitées, de l’âge de maman . L’employé du ministère de l’Alyah et de l’intégration m’a dit que l’aide à l’alyah du Keren était pour tout le monde J’ai donc contacté le Keren LaYedidout et j’ai été reçue très gentiment. Cela m’a aidé à faire avancer un certain nombre de démarches d’Alyah pour maman qui n’avançaient pas.
Et une fois l’alyah faite le Keren a continué à vous accompagner …
Oui, avec beaucoup de gentillesse. Ils m’ont même gâtée !
En savoir plus sur l’aide à l’Alyah du Keren LaYedidout : Contactez Nous